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Femmes victimes de violences – Accueillir à la ferme, une alternative à l’hébergement d’urgence en hôtel

L’accueil à la ferme est une pratique bien établie pour le Civam 29 qui accompagne un noyau d’accueillant dans la définition de leur projet, la mise en place de partenariats avec des structures sociales et l’analyse de leurs pratiques.
Accueillir des femmes qui fuient le domicile conjugal, en particulier, ne s’improvise pas. Retour sur 5 années de réflexion collective, en lien avec les services du département.

Comment le Civam 29 s’est-il intéressé au sujet des violences faites aux femmes? Comment est venue l’idée de ces accueils?

Sophie Pattée animatrice au Civam 29 : C’est la direction départementale de la Cohésion Sociale (DDCS) qui est venu nous chercher en 2017. Ils nous connaissaient car on avait sollicité cette année-là un Fonjep et dans ce cadre on a présenté les actions du Civam 29, notamment tout le travail sur l’accueil social à la ferme. Or à l’époque le sujet des violences conjugales était d’actualité pour la DDCS. Il fallait absolument qu’ils réduisent les hébergements à l’hôtel : pour eux ce sont des hébergements chers, peu accueillants et qui conduisent les femmes, isolées, à rentrer au domicile conjugal où elles ne sont pas en sécurité. Ils constataient aussi qu’il y avait peu de dispositifs en milieu rural. Ils avaient donc mis en place des conventions avec des gites ruraux en dehors des périodes touristiques, mais ce qui leur manquait, c’est l’humanité que nous proposons dans nos accueils : quelqu’un présent sur place, avec qui prendre le café, partager un repas, une conversation…

Comment le groupe d’accueillant a réceptionné cette demande ?

SP : J’ai présenté la demande et il y a eu une adhésion très rapide de 5 accueillantes. On a donc très vite reprogrammé une rencontre avec le délégué au droit des femmes du Finistère. Après il y a eu des réunions avec le dispositif 115.

Vous avez monté ce projet d’accueil sur plusieurs années, vous avez beaucoup échangé avec les services, les accueillants se sont formés… Qu’avez-vous appris de la situation de ces femmes qui quittent le domicile et de leurs besoins ?

SP : Déjà on s’est rendus compte du nombre d’appel et de la fréquence des appels : une à deux femmes appelaient le 115 par jour à ce moment-là dans le Finistère. Les appels étaient hyper concentrés dans les villes et on s’est interrogé sur ce qui se passait en rural : est-ce que le 115 était bien connu ?

Ensuite on a été formé à ce qu’on appelle le « cycle des violence ». Il y a des moments de crise et de prise de conscience, mais il peut y avoir un retour à la situation de départ, c’est toute la problématique de l’emprise, qui est parfois difficile à comprendre de l’extérieur. On nous a notamment expliqué qu’il y a en moyenne 7 tentatives de départ avant que les femmes ne quittent définitivement le domicile : il fallait donc aussi s’attendre que le séjour Civam n’aboutisse pas à un relogement et à la fin des violences. Pour les accueillants ça semblait incompréhensible.

Comment se sont passés les premiers accueils ? Qu’est-ce que ces accueils peuvent apporter ?

SP : On a mis 5 ans à bâtir le dispositif : comprendre le fonctionnement du 115, recevoir la visite de la coordinatrice du 115 sur les fermes accueillantes, discuter de la durée de séjour, du prix, de la sécurité, mettre en place des liens avec la gendarmerie, trouver les bonnes assurances, former les accueillantes. On a finalement signé la convention et le premier accueil a eu lieu six mois après. Puis tout s’est arrêté avec le confinement et la restructuration du SIAO, avec aussi le turn over dans le secteur social que l’on connaît… On est en train de tout relancer.

On a fait que deux accueils pour le moment. Le premier accueil a été très positif pour nous. La dame a aujourd’hui quitté son mari et a trouvé un nouvel appartement avec son nouveau compagnon. Elle a entamé les démarches pour récupérer ses enfants qui sont placés. On se dit que l’accueil, qui a duré 10 jours, a été une étape de ce parcours. L’accueillante est toujours en contact avec cette femme qui l’appelle de temps en temps. L’accueil ne fait évidemment pas tout, il s’inscrit dans un accompagnement global, mais c’est une marche, un appui à un moment donné, un encouragement. C’est d’ailleurs ce qu’on voit aussi dans les autres accueils adultes que nous pratiquons, par exemple avec les hébergements d’urgence, on a des exemples de liens forts qui se créent.

Dans le second accueil, l’objectif était un peu différent, il s’agissait d’une dame assez âgée en attente d’une place d’ehpad, on a permis la transition mais il y a eu moins de liens crées.

Quelles difficultés devez-vous encore lever ?

SP : Il y a des choses qui ont évolué depuis 2017, il y a des nouveaux dispositifs juridiques. Par exemple dans nos échanges il était primordial de sécuriser les lieux d’accueil, pour éviter la venue des conjoints violents. Aujourd’hui dans les brigades il y a un référent sur les violences intrafamiliale, ce n’était pas très courant il y a 5 ans. Toujours pour ces questions de sécurité on ne voulait accueillir que des femmes seules. Or dans la plupart des cas ce sont des femmes qui partent avec des enfants. Depuis on a appris que le lieu où le père était susceptible de revenir chercher les enfants, c’est plus souvent l’école que le lieu d’accueil. Aujourd’hui les accueillants sont prêts à démarrer ce type d’accueil.

L’autre grande question qu’on a c’est celle du prix, ils nous avaient demandé de nous aligner sur les nuitées d’hôtel à 40€. Aujourd’hui ils nous ont dit que c’était plutôt une moyenne, que ce prix varie selon les hôtels et qu’il peut être revalorisé pour nos accueils qui incluent en plus de l’hébergement une présence et un accompagnement.

Enfin la dernière chose à poursuivre c’est la mise en réseau : on sait qu’on est un tout petit maillon de la chaîne de réparation des femmes victimes de violence. Comment on peut faire plus réseau, avec les associations d’aide, afin qu’on en connaisse un peu plus sur les droits et les démarches juridiques, qu’on puisse renvoyer vers les bons interlocuteurs. Par exemple : vers qui se tourner s’il y a des problèmes d’addiction ? Il serait intéressant aussi que les associations d’aide qui pourraient être prescriptrices de ces accueils connaissent les Civam, savent qu’elles peuvent trouver des lieux ressources chez nous, et que les orientations ne passent plus uniquement par le 115.

 

Que diriez-vous à d’autres groupes Civam qui souhaiteraient s’engager sur cette voie?

SP : La déléguée au droit des femmes du Finistère nous dit être souvent interpellée par d’autres départements sur ce dispositif, ça pourrait donc tout à fait être reproduit !

Je tiens à dire que ce sont des accueils qui ne sont pas anodins et qui se préparent. Ce sont des accueils qui doivent être rémunérés, ça ne peut pas être des accueils au rabais (voir tout le travail autour du prix mené par la commission Accueil Social des Civam). Il faut savoir aussi quand on se lance qu’il y a beaucoup d’investissement pour peu d’accueil. Peut-être avec des associations la mise en place du partenariat serait plus rapide qu’avec les services de l’état. Mais le 115 est aussi un cadre sécurisant.

Il y a, comme pour tous les accueils, pas mal d’idées reçu à lever sur le rural. Lors du premier accueil, la femme qui est venue avait peur qu’il n’y ait pas de commerce, pas de tabac, pas de distributeur. Mardi dernier encore on nous a demandé s’il fallait travailler sur les fermes : bien sûr que non ! Ainsi le temps de l’interconnaissance est hyper important, et dans le travail social il y a bcp de turn over, il faut donc savoir qu’il faudra passer beaucoup de temps à réexpliquer les mêmes choses !

 

Accueillir des femmes victimes de violence, ainsi que toutes personnes traversant une période plus difficile me semble juste lorsque l’on à la chance de vivre dans un cadre comme le mien.

C’est une façon pour moi de rencontrer la vie. Lors de moments privilegiés, des discussions ouvrent ma vision du monde, de la société en particulier…  En échange, je partage mon univers, la maison, le jardin, les champs, la mer et mon temps. Les animaux peuvent  être un média pour aller vers un mieux être, aider à mettre de la distance par rapport aux situations trop complexes que la personne traverse. Je me forme dans ce sens.

Accueillir prend du temps et de l’énergie, parfois plus que ce que je projetais avant l’accueil. Personnellement, j’ai besoin d’être bien disponible (temporairement et moralement) pour que l’accueil soit optimal. Accueillir ayant vraiment du sens pour moi, je réfléchi également à faire des accueils à plusieurs ( en mettant par exemple le lieu à disposition d’autres accueillants potentiels intéressés par ce projet) afin de pouvoir accueillir plus souvent .

Magali Poupon,
Paysanne accueillante, membre du Civam 29 

 

Vous souhaitez en savoir plus sur le Civam 29 et leurs actions ?

www.civam29.org/

 

Credit Photo : ANGELIQUE BERANGE / Séjour Aurore bretagne 2015

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