Les enseignements tirés de l’Observatoire Civam Bovin lait 2024

Rendre sa ferme plus autonome pour faire face à la volatilité des prix

La FRCIVAM Bretagne et les groupes CIVAM bretons sont mobilisés pour accompagner les fermes vers des systèmes herbagers économes et autonomes. Ce travail de fond passe par l’analyse technico-économique, sociale et environnementale à partir des comptabilités et de questions spécifiques aux agriculteurs et agricultrices. La compilation des données et leurs analyses permet de produire des références diffusées par l’Observatoire CIVAM Bovin Lait. Agri, animateur.trices, étudiant.es peuvent trouver des repères pour comprendre et accompagner les fermes dans une approche systémique vers la transition agroécologique et climatique.

Retrouvez l’édition 2024 sur le site de Réseau CIVAM ainsi que les précédentes collections.

Mesurer la performance économique, sociale, environnementale et climatique, c’est le travail fourni par cette nouvelle édition de l’Observatoire Civam des fermes de l’Ouest en Bovin lait (basé sur les exercices comptables 2022 de 141 fermes). Il démontre, chiffres à l’appui, que dans cette année marquée par un contexte géopolitique (guerre en Ukraine) et climatique (déficit de pluviométrie) instable qui a notamment entraîné une volatilité des prix du lait, des pratiques autonomes et économes permettent aux éleveurs·euses de maintenir la rentabilité de leur ferme et sa pérennité tout en favorisant sa robustesse.

À l’échelle du Grand Ouest, l’analyse comparative des résultats économiques 2022 des fermes herbagères paturantes Civam et de la moyenne des fermes laitières RICA (Réseau d’Information Comptable Agricole1) met en évidence deux stratégies économiques: produire de la richesse pour rémunérer du travail, c’est la “stratégie valeur ajoutée” des fermes Civam ou produire du volume et capitaliser, c’est la “stratégie volume” suivie et subie par la majorité des fermes. Cette dernière, fortement dépendante de flux exogènes (intrants, financements…), s’expose de manière frontale aux fluctuations des cours mondiaux imbriqués eux-mêmes dans des stratégies géopolitiques parfois très éloignées des considérations agricoles et alimentaires.

L’autonomie des fermes face aux instabilités conjoncturelles

L’année 2022 est marquée par une hausse significative du prix du lait conventionnel, atteignant 469 €/1000 L (+ 17 % par rapport à 20212). Pour tenter d’en profiter, les fermes RICA cherchent à produire plus, quitte à produire du lait qui coûte cher en intensifiant les achats d’aliments et d’intrants extérieurs, ou encore en augmentant leur cheptel. En 2022, leurs charges augmentent ainsi en moyenne de 56 €/1000 L, soit + 11 %. Cette réactivité aux fluctuations de prix fragilise les systèmes RICA. Le prix du lait a augmenté mais qu’en sera-t-il en cas de crise du lait comme nous avons pu vivre par le passé ? Les fermes en agriculture durable (AD) des Civam ne suivant pas cette stratégie volume, leurs charges restent relativement stables. Des charges qui sont déjà moindres dans ces systèmes économes qui maximisent le pâturage et qui réduisent leur utilisation d’intrants tels que les aliments ou les engrais et produits phytosanitaires sur les cultures.

Au bilan, c’est 120 000€ de charges totales en moins dans les fermes AD grâce à leurs pratiques économes et autonomes. Ainsi malgré une production de lait plus faible, les fermes Civam obtiennent un revenu disponible similaire aux fermes du RICA. En moyenne sur 10 ans, ces fermes génèrent même un revenu disponible supérieur de près 6 600 € par rapport aux fermes RICA3.

Des pratiques économes bonnes pour l’environnement, la ferme et les éleveur·euses

Les fermes en système herbager pâturant réduisent leur dépendance aux surfaces extérieures pour l’alimentation de leurs animaux. Elles sont autonomes en moyenne à 96 % contre 68 % pour les systèmes ayant plus de maïs dans leur surface fourragère. Les prairies constituent une ration complète, stockent plus de carbone et limitent le lessivage des nutriments. Les fermes herbagères pâturantes réduisent ainsi leur bilan azoté et carbone et minimisent leurs impacts environnementaux délocalisés. Il en ressort une nette réduction de pression sur les écosystèmes et toutes sortes de pollutions et émissions induites.

En outre, les systèmes pâturants renforcent la dynamique des territoires ruraux avec une rémunération du travail par hectare supérieure de 190 € par rapport aux fermes RICA, ainsi qu’un nombre de travailleurs·ses au kilomètre carré supérieur de 10 %. Pour une commune de 50 km² comme Rennes, cela représente 10 travailleur·ses de plus sur les fermes de ce territoire.

Les systèmes herbagers, tels que ceux observés dans les fermes AD, offrent une alternative viable et vivable aux pratiques conventionnelles. Leur capacité à combiner les trois piliers de la durabilité (une agriculture économiquement viable, socialement équitable et écologiquement responsable) les positionne comme des modèles pour l’avenir de l’élevage laitier.

 

La promotion de ces systèmes, soutenue par des initiatives locales, est essentielle pour construire une agriculture économe et autonome et donc plus apte à faire face aux incertitudes, perturbations et fluctuations notamment prix, tout en minimisant les impacts environnementaux, et d’assurer la transmissibilité de fermes pérennes. Plus généralement, c’est la souveraineté alimentaire qui est sécurisée en faisant perdurer la filière mais aussi la santé de tous·tes, dont celle des éleveur·euses, qui est préservée.

« Parce que faire pâturer ici et maintenant, c’est penser autonomie et moindres dépendances en surfaces exogènes, en engrais de synthèse fortement énergivores, en biocides en tous genres s’accumulant sournoisement jusque dans nos atomes, en sur-matérialisation de nos fermes et donc au final de moindres dépendances à l’endettement financier et humain.
Faire pâturer, c’est clairement acter en faveur d’une baisse de pression sur les écosystèmes, c’est agir sur les réservoirs de biodiversité entomologiques, floristiques et faunistiques, être moins inféodé aux matières et à leurs fluctuations sur les cours mondiaux déconnectés du réel »
Mickaël Lepage, éleveur en Mayenne (53) et membre du Réseau Civam.