Lettre ouverte – Loi Duplomb : un projet qui aggrave la crise agricole et alimentaire
Lettre ouverte – le 23 juin 2025
Mesdames et Messieurs les parlementaires membres de la Commission Mixte Paritaire,
Alors que le monde agricole est en crise, la proposition de loi du député Duplomb prétend “lever les contraintes” pesant sur les agriculteurs. En réalité, elle aggrave un système à court terme, qui précarise les paysans, détruit les écosystèmes et menace notre souveraineté alimentaire. Pour nous, agricultrices et agriculteurs membres du réseau des Civam, l’adoption de la motion de rejet et le refus du débat public démocratique dans l’hémicycle est symptomatique du modèle agricole et industriel, et de ses modes d’actions, que cette loi défend.

Une loi qui nie les causes profondes de la crise agricole
Alors que les fermes françaises disparaissent à grande vitesse, cette proposition de loi refuse de regarder la réalité
en face : si les agriculteurs vont mal, ce n’est pas parce qu’ils sont écrasés par les contraintes environnementales,
mais avant tout parce qu’ils sont écrasés par un système qui capte la valeur en aval et les prive d’un revenu digne.
Entre 1975 et 2000, les prix agricoles ont été divisés par deux, une baisse peu répercutée sur les prix à la
consommation. Quand nous dépensons 100 euros en produits alimentaires, seuls 7 euros reviennent aux
producteurs et productrices¹. Où est donc passée la valeur ? Certainement pas dans les mains de celles et ceux
qui nous nourrissent.
Un modèle productiviste à bout de souffle
Sous couvert de “simplification“, la loi Duplomb attaque de front les normes environnementales. Elle prolonge une
vision datée, celle d’un modèle agricole productiviste qui sacrifie la durabilité à la performance immédiate et sans
avenir.
Ce modèle a mené à des conséquences dramatiques :
– 36 % des oiseaux des champs ont disparu en 30 ans²
– 437 captages d’eau potable ont été abandonnés entre 2010 et 2021, du fait de la pollution aux nitrates
et aux pesticides³
– 1,5 tonne de terre arable par hectare et par an, disparaissent du fait du ruissellement des eaux. Situation
aggravée par l’intensification de l’agriculture, le surpâturage, la déforestation ou l’imperméabilisation⁴
– 8 millions de Français vivent aujourd’hui en insécurité alimentaire
Au total, ce système défaillant coûte cher à la collectivité : 19 milliards d’euros de dépenses publiques pour en
compenser les effets délétères, soit près du double du budget prévu pour la planification écologique en 2024.
L’incohérence de notre système alimentaire va plus loin. Non seulement il cautionne et encourage massivement
les acteurs de ce modèle mais favorise la course aux volumes, la standardisation et la pression sur les prix payés
aux paysans et paysannes.
Cette proposition de loi ne lève aucune contrainte, elle nous contraint à rester dans la voie d’un système défaillant,
incapable de répondre aux enjeux climatiques et de santé publique actuels.
Une autre agriculture est déjà à l’œuvre
Face à cette fuite en avant, d’autres modèles existent et montrent chaque jour leur efficacité. Partout en France,
des agriculteurs et agricultrices s’engagent dans des pratiques qui allient autonomie, coopération, biodiversité :
agroforesterie, polyculture-élevage, agriculture de conservation, agro-sylvo-pastoralisme, relocalisation des
filières…
Le Réseau Civam, acteur de terrain de cette transition agroécologique, accompagne ces dynamiques. Ces fermes
existent, elles produisent, elles nourrissent, elles résistent.
Elles ne doivent plus être considérées comme des alternatives, des initiatives isolées, voire des niches – mais
comme des modèles à soutenir, massifier et généraliser. Cela passe par des politiques publiques fortes qui
encouragent des modèles vertueux.
Sortir du déni, choisir la robustesse
La véritable réponse à la crise agricole ne viendra pas d’une dérégulation accrue pour produire toujours plus à
court terme. Elle viendra du soutien à une agriculture robuste, capable de résister aux chocs économiques,
climatiques et géopolitiques.
Dans un monde marqué par les bouleversements, la robustesse doit primer sur la performance. Il est temps de quitter le culte du rendement pour construire une agriculture qui tienne dans la durée, qui respecte le vivant et qui nourrisse de manière durable l’ensemble de la population.
Nous appelons la commission mixte paritaire à refuser ce texte
Cette loi ne répond à aucun des enjeux du XXIe siècle. Elle affaiblit l’agriculture au lieu de la renforcer. Elle sabote
les alternatives viables portées par les territoires au lieu de les développer. Elle nous éloigne d’une alimentation de
qualité pour toutes et tous et met à mal la santé.
Nous appelons les parlementaires à faire le choix du vivant et de la durabilité. Refusons cette loi dangereuse.
Changeons de cap, pour une agriculture durable et des campagnes vivantes !
Réseau Civam
¹ Observatoire de la Formation des Prix et des Marges, d’après INSEE et Eurostat (2018)
² Observatoire National de la Biodiversité (2023)
³ MTE, Bilan environnemental de la France 2022 – Fiche 2 : pollution des eaux, 2022
⁴ MTE, Les sols en France – Synthèse des connaissances en 2022
Pour aller plus loin :
Rapport “l’injuste prix de notre alimentation” – Secours Catholique, Réseau Civam, Solidarité Paysans et la
Fédération Française des Diabétiques – Le Basic (2024)
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À propos des Civam
Les CIVAM (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) sont des groupes d’agriculteurs et de ruraux qui travaillent de manière collective à la transition agro-écologique. Il s’inscrivent également dans des dynamiques collectives et citoyennes (réseaux InPACT, Collectif Nourrir, Sécurité sociale de l’alimentation….). Les CIVAM constituent un réseau de près de 130 associations, qui emploient 250 animateurs-accompagnateurs et qui œuvrent depuis 60 ans pour des campagnes vivantes. Ils agissent pour une agriculture plus économe et autonome, une alimentation relocalisée au cœur des territoires et des politiques agricoles, pour l’accueil de nouvelles populations et pour la préservation des ressources.
Contact presse :
Aurore Puel – aurore.puel[AT]civam.org – 06.41.03.31.35
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