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Lettre ouverte au premier ministre pour la publication de la Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat

Lettre ouverte de 117 organisations à l’attention de Sébastien Lecornu : il est crucial de publier la Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat afin de protéger la santé des Français

 

Paris, le 24/09/2025

Monsieur le Premier Ministre,

La Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat (SNANC) devait être publiée en juillet 2023. Deux ans plus tard, elle n’a toujours pas vu le jour. Chaque mois de retard accroît les coûts écologiques, sanitaires et sociaux de l’inaction. Mais vous avez aujourd’hui l’opportunité d’y remédier.

Plusieurs gouvernements successifs – Borne, Attal, Barnier puis Bayrou – ont eu l’occasion de publier cette stratégie essentielle mais ont reculé face aux pressions de certains lobbies du secteur agroalimentaire. Il y a là une des raisons de la fatigue sociale et de la société civile actuelle : au-delà de l’urgence d’une telle stratégie, elle a demandé un investissement sans précédent de toutes les parties prenantes. Un travail interministériel inédit a été réalisé ces 3 dernières années par les ministères de l’Agriculture, de la Santé et de la Transition écologique. Des centaines d’organisations ont été sollicitées pour permettre aux instances consultatives d’émettre des avis (CNA, CNLE, CNS, CNTE, HCSP). Le projet mis en consultation publique en mai a même enregistré près de 4000 contributions dans des délais très courts. Malgré des avis convergents entre les ministères, les instances consultatives et la société civile, la sortie a encore été ajournée par le dernier gouvernement. Cela ne fait qu’entretenir un sentiment généralisé de mépris de la démocratie et de déconnexion entre les citoyens et leurs représentants politiques.

Pire, la dernière version fuitée marque désormais un véritable déni scientifique. Le cabinet de l’ancien Premier Ministre a en effet dénaturé profondément la SNANC en supprimant toute référence à la “réduction” ou à la “limitation” de la consommation de viande, alors même que les ministères de l’Agriculture, de la Santé et de la Transition écologique s’étaient accordés sur des formulations consensuelles.

Inscrire dans la SNANC une trajectoire claire de réduction de la consommation de viande n’est pas une option : c’est une nécessité à plusieurs égards. Selon le Haut Conseil pour le Climat, la France doit diminuer sa consommation de produits d’origine animale de 30% d’ici 2050 pour espérer atteindre des engagements climatiques [1]. Sur le versant santé, 63% de la population dépasse les quantités maximales recommandées pour la charcuterie et 32% pour la viande rouge : il est pourtant aujourd’hui bien établi que leur surconsommation augmente les risques de développer des maladies non transmissibles telles que l’hypertension, les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2, certains cancers…

Il s’agit aussi d’un enjeu de souveraineté alimentaire. En effet, la Stratégie nationale bas-carbone fixe déjà une baisse des cheptels de l’ordre de 10% d’ici 2030. Mais en l’absence de cap équivalent sur la consommation, le risque est grand de voir les importations – qui représentent déjà un tiers de la viande consommée en France – continuer à s’accroître. Cette réduction doit néanmoins se faire dans une optique du “moins et mieux”, en privilégiant la consommation de viande de qualité, produite en France et rémunératrice pour les éleveurs, ainsi que les emplois de toute la chaîne de valeur française, et en réduisant la part de viande importée.

Ce recul s’ajoute à celui sur la publicité et le marketing des produits nocifs pour la santé, que le gouvernement a refusé de restreindre, même lorsqu’il prend pour cible et matraque spécifiquement les enfants. Les attentes citoyennes sont pourtant claires à ce sujet : 83% des Français souhaitent leur interdiction. La nécessité de restreindre de façon stricte la publicité a été réaffirmée par l’ensemble des instances consultées sur la SNANC, ainsi que par le rapport des inspections générales (IGEDD, IGF et IGAC) publié début septembre. Pour ne rien arranger, les recommandations alimentaires du Programme national nutrition santé (PNNS 4) ainsi que la notion d’aliment “ultra-transformé” ont tout simplement été supprimées dans la dernière version de la SNANC : elles doivent absolument être rétablies.

Car la situation est alarmante. 16% de la population française déclare ne pas manger à sa faim et 20% des étudiants ont recours à l’aide alimentaire. Près de la moitié de la population est en surpoids ou en situation d’obésité. Environ 10 millions d’adultes (17-20% selon les régions) sont en situation d’obésité, et plus de 4 millions de Français vivent avec un diabète – une augmentation de 160% en 20 ans. Chez les enfants, 17% sont en surpoids, dont 4% en situation d’obésité, et les cas de diabète de type 2 sont en nette augmentation, transformant l’alarme en véritable urgence. Dans le même temps, l’alimentation, qui représente 24% de l’empreinte carbone de la France, contribue au dérèglement climatique dont les effets néfastes sur l’économie, la santé humaine, l’élevage et les cultures ne sont plus à démontrer (vagues de chaleur, incendies, sécheresses, etc.).

Réhausser les ambitions de la SNANC et la publier au plus vite est une question de respect démocratique et de cohérence scientifique. Mieux encore, elle comporte des éléments de réponses à la colère qui s’exprime dans la rue. Une Stratégie ambitieuse, assortie de moyens, doit permettre d’une part de réduire les tensions sociales, en faisant reculer la précarité alimentaire, réduisant les inégalités d’accès à une alimentation saine et garantissant davantage de débouchés et une meilleure rémunération aux agriculteurs français. Elle doit contribuer, d’autre part, à prévenir les maladies liées à l’alimentation et ainsi réduire les dépenses publiques de santé. Les dépenses publiques engagées pour traiter les impacts environnementaux et sanitaires de notre système alimentaire s’élèvent en France à 19 milliards d’euros par an : une aberration alors que le pays cherche à réduire sa dette publique. Investir dans la prévention est un meilleur investissement pour l’avenir et la justice sociale que doubler les franchises médicales pour les personnes malades chroniques, dont les pathologies sont souvent liées ou aggravées par un défaut d’accès à une alimentation saine.

Nous rappelons nos demandes prioritaires :

  • Interdire la publicité et le marketing pour les produits trop gras, trop sucrés et trop salés, notamment lorsqu’ils ciblent les enfants, et rendre obligatoire l’affichage du Nutri-score sur tous les emballages et les supports publicitaires.
  • Fixer une trajectoire chiffrée vers “moins et mieux” de produits animaux d’ici 2030, incluant la réduction de la consommation de viande (y compris volaille et charcuterie), et le soutien aux produits animaux durables d’origine France
  • Nommer un ou une déléguée interministérielle chargée de la mise en œuvre et du suivi de la SNANC, garante de l’allocation des moyens nécessaires à l’atteinte de ses objectifs.

Monsieur le Premier ministre, Mesdames, Messieurs les ministres : vous avez aujourd’hui la responsabilité et l’opportunité de publier enfin la SNANC. Elle doit être à la hauteur des enjeux de santé publique et de justice sociale et cohérente avec les objectifs climatiques et les 3 engagements internationaux de la France pour le droit à l’alimentation. Il est indispensable aussi que le gouvernement assure la cohérence des politiques publiques : les orientations de cette Stratégie doivent s’imposer à l’ensemble des politiques et lois à venir. C’est une attente des citoyens et des citoyennes, qui souhaitent que le gouvernement agisse non pas uniquement dans l’intérêt de l’agro-industrie, mais avant tout dans l’intérêt général, en protégeant tout particulièrement nos enfants et les plus vulnérables.

 

[1] « En suivant une approche d’ensemble, une réduction de 50 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole à l’horizon 2050 est réalisable, à condition d’être accompagnée d’une baisse d’au moins 30 % de consommation de produits d’origine animale et d’un report vers d’autres sources de protéines, de soutien et accompagnement des acteurs, et d’actions renforçant la résilience du système alimentaire, qui est un prérequis à l’atteinte des objectifs climatiques de la France. » (Haut Conseil pour le Climat, Accélérer la transition climatique avec un système alimentaire bas carbone, résilient et juste, Janvier 2024, p.6)

Signataires de la tribune

Retrouvez la liste des 117 organisations signataires dans la lettre en PDF

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À propos des Civam

Les CIVAM (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) sont des groupes d’agriculteurs et de ruraux qui travaillent de manière collective à la transition agro-écologique. Il s’inscrivent également dans des dynamiques collectives et citoyennes (réseaux InPACT, Collectif Nourrir, Sécurité sociale de l’alimentation….). Les CIVAM constituent un réseau de près de 130 associations, qui emploient 250 animateurs-accompagnateurs et qui œuvrent depuis 60 ans pour des campagnes vivantes. Ils agissent pour une agriculture plus économe et autonome, une alimentation relocalisée au cœur des territoires et des politiques agricoles, pour l’accueil de nouvelles populations et pour la préservation des ressources.

Contacts presse :

Aurore Puel – aurore.puel[AT]civam.org – 06.41.03.31.35
Lucile Carriat- lucile.carriat[AT]civam.org – 06.41.88.31.81

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