Se spécialiser pour produire plus. Tel a été le mouvement de l’agriculture au XXème siècle. Recours accru aux pesticides et autres intrants chimiques, intensification de l’élevage et développement du maïs, diminution de l’offre alimentaire locale, agrandissement des exploitations et diminution du nombre d’agriculteurs. Autant d’effets du modèle agricole diffusés ces dernières décennies.
Que ce soit par recherche de résilience, vision du métier, ou pour répondre aux nouvelles attentes de la société… Des agriculteurs de nos territoires maintiennent ou reviennent vers des systèmes diversifiés, qui s’inscrivent dans une démarche d’agriculture durable sur bien des aspects. S’ils identifient les atouts et attraits de leurs systèmes, ils ne nient pas les risques à y aller.
Se diversifier… C’est à dire ?
Se diversifier signifie remettre une diversité d’animaux et de cultures sur la ferme. Nouveaux élevages (porcs, volailles…), nouvelles cultures (céréales diverses, légumes, fruits) sont quelques exemples de diversification des productions réalisée en massif central.
Mais se diversifier pour un agriculteur, c’est aussi élargir son champ d’action et de compétences. Ainsi, certains font le choix d’aller sur la production de produits finaux, fromages, plats cuisinés, pain et la vente directe de leurs produits. Dans certains cas, la diversification répond directement à une demande d’acteurs tiers comme la production d’un service. C’est le cas par exemple de l’éco-pâturage pratiqué par des troupeaux dans des espaces embroussaillés, à la demande de collectivités. Dans toutes ces configurations, la diversification nécessite une palette de savoir-faire à développer sur les fermes.
Se diversifier, c’est limiter son impact sur l’environnement
« Paysan, paysanne, cela veut dire travailler le paysage. C’est pour moi une définition du métier que de s’adapter. Nous n’épuisons pas les sols, nous respectons les êtres vivants. »
Sarah, agricultrice en Ardèche.
La moindre intensification à l’hectare, les rotations, l’entretien de la biodiversité, permettent une préservation des ressources naturelles. Avoir un impact modéré sur son environnement, pour les agriculteurs, c’est aussi ne pas couper la branche sur laquelle ils sont assis.
L’entente entre collectivités et éleveurs pour le pâturage de milieux embroussaillés, aussi appelé éco-pâturage, représente une opportunité pour les territoires concernés par cette problématique. Sans mécanisation et avec des pratiques ciblées, les animaux ne piétineront pas, ne broieront pas, ne détruiront pas la biodiversité ni ne nuiront à la faune sauvage.
On fait de l’éco-pâturage en plus de la production et transformation de fromage : ça répond vraiment à une problématique environnementale car on a des contrats de débroussaillage et nos animaux sont en quelque sorte en concurrence avec des débroussaillages mécaniques. Les animaux sont utilisés pour débroussailler écologiquement, si ce n’était pas les animaux ça serait des dépenses de gasoil, de matériel. Agronomiquement ça ne serait pas entendable : on a l’impression d’avoir un vrai service rendu à l’environnement, localement.
Damien, agriculteur dans la Loire
Aller plus loin sur les services environnementaux,
En lisant l’article “Quels Paiement pour Services Environnementaux Défendre”
Par ailleurs, la cohabitation de plusieurs ateliers amène une forme de complémentarité qui favorise la production sans avoir recours à des intrants extérieurs et de synthèse, c’est notamment le cas de l’association d’atelier d’élevage avec des cultures. Des interactions élevées entre végétaux et animaux permettent d’obtenir un bilan azoté plus faible. Les ateliers se complètent les uns les autres dans une dynamique vertueuse. «
Ces deux activités sont vraiment complémentaires au niveau agronomique car le fumier des brebis permet d’enrichir la terre pour les cultures et notamment le blé. Après le son de la mouture est donné aux brebis, il n’y a donc pas de pertes.
Léa, agricultrice en Aveyron
Se diversifier, c’est renforcer sa sécurité financière
Ramener de la résilience vis-à-vis des marchés et des aléas économiques, techniques ou même climatiques est un enjeu majeur pour toutes les fermes. Que ce soit en allant vers la transformation ou en associant plusieurs productions complémentaires, la diversification au sein d’une ferme limite l’impact d’un aléa et lui apporte de la sécurité financière. C’est ce dont témoignent les différents paysans interrogés.
Diversifier, ça sécurise le revenu, on ne met pas tous ses œufs dans le même panier.
En cas de sécheresse, il y a moins d’herbe, donc moins de lait. Mais s’il est transformé, ça limite la casse
Adèle, agricultrice dans le Cantal.
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Transformer ses produits, aller jusqu’au produit fini permet également d’augmenter la valeur ajoutée dégagée. Pour de petites fermes des monts du lyonnais, « La diversification est le pilier de la ferme » explique Adrien, agriculteur dans la Loire depuis plusieurs générations. « Ça permettait de ramener de la valeur ajoutée sur des faibles surfaces » en diversifiant non seulement les productions, mais les circuits de commercialisation, associant par exemple circuit long pour le lait, et circuits courts pour des fromages, des petits fruits, des volailles… Par ailleurs, les agriculteurs constatent que vendre un produit régulièrement en vente directe permet une certaine sécurité et sérénité financière
« Un autre point au niveau économique qui change, c’est qu’avec le pain on a une entrée d’argent régulière alors que le laitier est très saisonnier. Du coup on sait qu’au niveau trésorerie, on rentre tous les mois ce qu’il nous faut pour gérer les salaires, ce n’est pas négligeable ! Aussi, l’atelier est quand même moins concerné par les aides, ça diminue la dépendance aux aides et à l’industriel. Ça diversifie et ça rend plus résiliente la ferme.
Léa
Se diversifier, c’est favoriser les dynamiques locales et le lien aux habitants
La volonté de diversifier et de garder nos ateliers existants nous « oblige » à embaucher, et on le fait volontiers. On va donc créer de l’emploi localement.
Damien.
Pour beaucoup des fermes diversifiées du réseau Agriculture Durable de Moyenne Montagne, nouvelle activité rime avec nouveau salarié ou nouvel associé. Ainsi, ces fermes génèrent plus d’emploi dans des espaces ruraux où il est rare. Et cela, au-delà même des frontières des fermes.
On s’implique dans des démarches collectives de filières locales comme la laine et la farine… Ce qui est bien, c’est qu’on s’appuie sur des entreprises locales pour développer ces petites diversifications pour nous. On s’investit pour suivre le produit jusqu’au bout mais on ne travaille pas seuls et ça fait vivre les entreprises locales ou s’en installer de nouvelles.
François, agriculteur en Lozère
Plus globalement, l’existence de ces fermes amène d’autres dynamiques sur le territoire. La vente directe a un impact, immédiat et visible. De plus, les agriculteurs qui arrivent apportent avec eux des idées, des projets et leurs familles. Mais leur installation nécessite aussi qu’ils puissent organiser leur vie dans des territoires qui ont perdu du dynamisme et des services… et cela impacte l’ensemble de la population locale.
On est arrivés, un couple avec quatre enfants : ces quatre enfants remettent de la vie concrètement au quotidien dans le hameau, nos voisins sont apparemment contents de revoir vivre un petit hameau, que ça bouge. Nos enfants vont à l’école à 8 km : on a été obligés de demander la réouverture d’une ligne de transport scolaire. Ils sont obligés de déneiger, d’entretenir la route, etc. On contribue à lutter contre l’exode rural, conserver des campagnes vivantes, des hameaux, des terres agricoles, une agriculture dans des zones un peu plus à l’écart.
Damien
Nourrir ses voisins, son village, sa région. C’est aussi un des objectifs pour ces agriculteurs qui se diversifient. « La diversification permet la relocalisation de l’alimentation dans une dynamique territoriale, à l’échelle d’une commune par exemple » précise Damien. C’est répondre à une demande croissante de la population rurale ou non. En cela, c’est gratifiant pour les agriculteurs qui retrouvent un lien social avec le reste de la population.
C’est aussi une activité qui est complémentaire en termes de lien social, il y a vraiment une vie importante au moment de la vente de pain, des fournées, les gens viennent. Ça a donné une nouvelle ouverture pour la ferme. Ça a créé de la vie, une dynamique sociale.
Léa
Certains producteurs vont même faire de longues distances, ou rester sur des marchés peu rentables pour maintenir un lien social dans un coin de campagne où plus grand-chose ne se passe :
Certains ne veulent pas abandonner ces débouchés car c’est sur le trajet d’une autre activité, ou parce que c’est un vecteur de lien social important, tant pis, il fera cette concession sur ce débouché parce que ça lui apporte autre chose humainement ou socialement.
Elodie, animatrice diversification à la FRCIVAM Auvergne
Enfin, c’est aussi pour le plaisir et pour retrouver du sens dans leur métier que des agriculteurs choisissent de se diversifier. « On n’est plus seulement producteurs de matières premières ! » s’exclame François « Pour nous c’est surtout une question éthique, redevenir paysans et avoir une cohérence, une symbiose entre les différentes productions sur la ferme : avoir des ateliers qui se « nourrissent » les uns des autres. C’est la logique de la ferme paysanne » conclu Adèle.
Se diversifier, c’est avoir conscience des risques
Créer de nouveaux ateliers, se lancer dans les productions de produits finis requiert cependant une certaine vigilance. Avoir une exploitation solide pour supporter les investissements et la période transitoire de l’assise d’une nouvelle activité est essentiel.
“On s’est installé avec nos associés, Ghislain et moi il y a 3 ans. Ghislain était intéressé par l’élevage et moi je voulais être paysanne boulangère. L’activité ovine laitière de la ferme marchait déjà bien, donc diversifier et prendre un risque, ne pas savoir combien d’argent allait rentrer, était pris par tous. Du fait que la ferme fonctionnait bien, les banques nous ont fait confiance et accordé un prêt. Comme il y avait de la trésorerie d’avance, nous avons pu faire tous les travaux et encaisser le début de la nouvelle activité.
Léa
Un point délicat est l’augmentation de charge de travail qu’engendre une diversification. La multiplication des compétences à avoir sur la ferme si l’on souhaite avoir un atelier nouveau est à prendre en compte. Il faut se former en amont et ne pas négliger le temps supplémentaire de travail que cela peut représenter. Pour certains la diversification va de paire avec l’arrivée d’une nouvelle personne sur la ferme, qui apporte ses compétences spécifiques et/ou sa polyvalence. Quand on se lance dans la vente directe, il faut également en plus d’agriculteur devenir boulanger, fromager mais aussi commercial… une multitude de casquettes, qui enrichit le métier d’agriculteur mais qui le complexifie également.
Mais la diversification n’est possible qu’avec des fermes en collectif, sinon c’est la variable main d’œuvre qui ne suit pas. Sans l’activité transformation sur la ferme il y aurait 1 personne ou 1 personne et demie, au lieu de 4 aujourd’hui. C’est même nécessaire : si la diversification n’amène pas de création de main d’œuvre, ce sera une diversification mal faite, qui risque de se mettre en place dans de mauvaises conditions. Si c’est pour sauver une situation, c’est un risque… Il y a des gens qui ont des fermes en lait qui ne tournent pas, ils rajoutent des fraises, alors qu’ils sont déjà au bout en termes de boulot, ils n’ont pas les moyens d’embaucher… ça risque de faire 2 ateliers mal conduits et qui ne seront pas durables.
La diversification c’est une façon de sécuriser un système, mais sur un système déjà sain en termes de charge de travail notamment. Si j’étais tout seul sur la ferme je serais incapable de faire tout ça. La diversification à un moment ou un autre implique un peu des risques… Quand tu lances un nouvel atelier, c’est nouveau, il y a une dimension de prise de risque plus facile à assumer en collectif. Adrien
Se diversifier, c’est mieux avec des collectifs ?
En s’associant ou salariant, pour aménager la charge de travail, se reposer sur les compétences de ses collègues, partager la vision globale et stratégique, mais également pour s’impliquer dans des outils collectifs de commercialisation… Pour les agriculteurs du réseau ADMM qui ont diversifié leurs activités, le collectif est apparu comme un facteur de réussite à part entière.
Selon les modes de commercialisation, différents types d’organisation voient le jour. En Auvergne par exemple, un collectif d’agricultrices s’est créé autour de la vente sur les marchés de plein vent :
Le camion-magasin on l’a acheté en décembre 2017. On se connaissait, on est au marché ensemble. Mais on ne pouvait pas acheter un camion neuf sur chacune des fermes, parce que ça représente un certain budget, et on ne fait pas assez de marchés pour l’amortir. Vendre les produits des autres pour nous ça n’a pas été compliqué, nous sommes agriculteurs et donc c’est de l’entraide. Pour nous c’est un confort de travail.
Josiane, agricultrice dans le Puy de Dôme
Le collectif autour de la structuration de filières locales permet de se lancer sur des petites productions de diversification. En Lozère, c’est autour de la valorisation de la farine que des chantiers collectifs sont menés :
Dans le cadre de la filière farine, la construction d’un bâtiment de stockage collectif nous permettra d’alléger la logistique et d’avoir un bon suivi des stocks. Chacun aura accès au matériel pour le tri des céréales et la bascule.
De plus, ces démarches concrètes permettent d’initier des échanges techniques et l’entraide avec les agriculteurs voisins. Autant d’échanges et d’initiatives qui amènent à plus d’agriculture durable sur les territoires!
Un article issu du bulletin de l’ADMM n°8
Rédigé par Corinne Mellet, FRCIVAM Auvergne, Elodie Butin, Addear 42 et Lore Blondel, Réseau CIVAM